M. Porret u.a. (Hrsg.): Histoire matérielle du droit de punir

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Titel
Bois, fers et papiers de justice. Histoire matérielle du droit de punir


Herausgeber
Porret, Michel; Vincent, Fontana; Ludovic, Maugué
Reihe
Coll. L’Équinoxe
Erschienen
Genève 2012: Editions Georg
Anzahl Seiten
364 S.
Preis
URL
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Philippe Henry

Ce livre rassemble dix-sept communications présentées lors d’un colloque international qui s’est déroulé à Genève en décembre 2010. Ces textes sont magistralement introduits par une mise en perspective du professeur genevois Michel Porret, initiateur et organisateur du colloque, animateur et auteur de nombreux travaux et publications en histoire du crime et de la justice. Chaque contribution est l’oeuvre d’un spécialiste de ce domaine en plein essor.

Il s’agit d’«histoire matérielle», ou d’histoire de la culture matérielle, dont un des pionniers, Daniel Roche, a montré tout ce que cette démarche peut apporter à la connaissance des pratiques sociales et culturelles, ou à l’histoire économique, voire politique de l’Ancien Régime (sur ce sujet, voir: Daniel Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation dans les sociétés traditionnelles (XVIIe-XIXe siècles), Paris: Fayard, 1997). Le colloque, qui entendait « historiser les dimensions du pénal dans l’épaisseur de sa matérialité », ainsi que cette publication se veulent une forme d’hommage à D. Roche. Comme le relèvent et M. Porret dans son introduction et l’historien belge Xavier Rousseaux dans sa belle contribution (« La matérialité de l’exécution publique et des sanctions (1350-1550) à Nivelles »), le droit de punir est un terrain extrêmement favorable aux ambitions des enquêtes d’une histoire matérielle révélatrice de l’« univers mental » des hommes du p assé. Son exploration peut également offrir prise à une analyse renouvelée de pratiques politiques et sociales dont les incidences culturelles sont captées à travers l’analyse des objets mis en oeuvre du début à la fin de l’action pénale, du constat du crime à l’exécution du coupable : « Culture matérielle (les rites et leurs instruments) et représentations symboliques (le sens que leur donne une collectivité) sont au coeur des pratiques pénales », constate X. Rousseaux, qui ajoute : « Loin d’être une réalité froide, les objets matériels sont indissociables des émotions et des sentiments qu’ils suscitent ».

De la richesse de cette approche, de l’utilité de ces visées, tout l’ouvrage est une magnifique démonstration, en dépit des difficultés auxquelles l’opération se heurte parfois, soit la rareté possible des sources « matérielles» (les o bjets ) ou issues des actes de la prati qu e et les subtil ités de leur interprétation, ainsi que les limites de la signification des sources normatives.

Initialement, il n’y avait pas de définition chronologique et spatiale précise du propos. En fait, la période moderne, longtemps privilégiée par les historiens du crime et de la justice, semble dominer : six contributions portent sur ce qu’il est convenu d’appeler l’Ancien Régime; il y en a deux pour la fin du Moyen Âge et le début du XVIe siècle. Mais trois pour le XIXe siècle, trois pour la fin du XIXe et le début du XXe, trois pour le XXe siècle. Géographiquement, par l’inscription institutionnelle des auteurs comme par leur sujet et la provenance de le ur s sources, la France l’emporte ave c neuf contribut ions ; tro is s o nt « gen evoises » et u ne « vaudois e » (Élisabeth Salvi) ; trois sont relatives à l’actuel territoire belge et la dernière à l’Italie. Cette géographie reflète avant tout celle du réseau des chercheurs mobilisés.

Les contributions sont réunies selon trois axes1. Une première partie, « Instruire et prouver », est centrée sur la «matérialité » de l’enquête judiciaire ; les « papiers de justice », en tant qu’objets, dont la multiplication est inhérente à l’affirmation de la procédure inquisitoire dès le XVIe siècle, sont évidemment privilégiés, sous la plume de Sonia Vernes-Rappaz (sur les archives criminelles genevoises du XVIe siècle) ou de Julie Doyon (sur les registres d’écrou de la Conciergerie à Paris au XVIIIe siècle). Vincent Fontana, sur la base principale des grands doctrinaires françai s du XVIIIe siècle, enten d montre r que l’attention aux « trace s visibles du crime» au stade de l’enquête est alors beaucoup plus grande qu’on ne pourrait le penser, à travers les constats in situ du magistrat instructeur2. D’autres contributions traitent des représentations de la torture judiciaire en France (Éric Wenzel), ou des pièces à conviction présentées aux audiences entre 1880 et 1940, devant les tribunaux français (Fréd éric C hauvaud). Bertrand Renard en fin analyse les effets très contemporains de l’identification par ADN sur la production de la preuve.

Un e deuxiè me partie regroupe des cont ributions r elatives à la maté rial ité de la pénalité (« Détenir et punir »), des exécutions publiques à Nivelles (X. Rousseaux) et dans le comté de Hainaut (Nathalie Demaret) à la fin du Moyen Âge, aux gibets vaudois très finement étudiés par E. Salvi à travers leurs représentations sur les plans-terriers et sous l’angle de leur signification symbolique et des enjeux de pouvoir auxquels leur contrôle est lié («Fourches de justice et souveraineté politique. L’exemple vaudois (XVIe-XVIIIe siècle) »). Ludovic Maugué présente une belle analyse des difficultés du passage au nouveau système carcéral dans le département du Léman. Un article traite des évasions de prisonniers politiques en France au XIXe siècle (Juliette Glikman) et Nicole Picard glace les sangs du lecteur par son étude du traitement des condamnés à mort en France au XXe siècle.

La troisième partie, «Collectionner et exposer», ne compte que deux contributions portant sur les progrès de l’identification judiciaire dès la fin du XIXe siècle et la matérialisation des nouveaux moyens mis en pratique, à travers notamment les musées et les expositions de l’identité judiciaire où l’on montre photographies, empreintes, moulages, etc. (Ilsen About); Monica Stronati souligne enfin le rôle de l’école positiviste italienne dans la naissance de l’anthropologie criminelle (les collections de Cesare Lombroso).

Rendre compte de la richesse de cette passionnante lecture n’est pas compatible avec la taille de ce compte rendu. Dans son introduction, Michel Porret noue la gerbe et synthétise l’hétérogénéité apparente des thématiques abordées, auxquelles il donne cohérence et sens.

1 Faute de place l’auteur de ce compte rendu ne peut citer tous les auteurs de ce recueil.
2 Vincent Fontana croit bon d’opposer ses convictions aux remarques que le soussigné a jadis consacrées à ce thème au sujet du XVIIIe siècle neuchâtelois (Philippe Henry, Crime justice et société dans la principauté de Neuchâtel au XVIIIe siècle (1707-1806), Neuchâtel, La Baconnière, 1984), renvoyant à la p. 125 de cet ouvrage et contestant les adjectifs «exceptionnel», «grossier», «hâtif» que le soussigné aurait prêtés au constat de la scène du crime «sous l’Ancien Régime». D’une part on ne trouve à ladite page qu’un seul des trois adjectifs incriminés, «grossier » ; il ne s’agissait d’autre part dans cet ouvrage que du cas de Neuchâtel (à travers un dépouillement systématique des archives criminelles locales du XVIIIe siècle), et non de «l’Ancien Régime» en général, comme feint de le croire Vincent Fontana.

Zitierweise:
Philippe Henry: Compte rendu de: Michel PORRET, Vincent FONTANA, Ludovic MAUGUÉ (dir.), Bois, fers et papiers de justice. Histoire matérielle du droit de punir, Genève: Georg, (Coll. L’Équinoxe), 2012. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 291-293

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Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 291-293

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